Retraite : de l’égalité dans le choix

Depuis longtemps, le sujet de la retraite m’interroge, non pas que je sois particulièrement pressé d’y arriver, mais c’est un moment de la vie qui m’interpelle. Étudiant en géographie de la population, il y a une bonne trentaine d’années, j’avais effectué un dossier sur ce thème puisqu’il est inexorablement lié à la baisse de la natalité et à l’allongement de l’espérance de vie, deux sujets très étudiés en démographie.

Or nous savions déjà que le problème du financement des retraites d’aujourd’hui allait se poser. Nous pouvions très nettement anticiper et aller plus loin dans le raisonnement pour envisager sereinement la retraite des générations futures. Mais, nous en sommes quasiment au même point qu’au début des années 90, notamment en raison de la difficulté que nous avons à remettre en cause notre choix de répartition quasi exclusif, et de l’égalitarisme qui nous pousse sans cesse, un peu sournoisement d’ailleurs, vers plus de régimes spéciaux.

Cela accroît paradoxalement le sentiment que nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne, et que certains sont nettement plus privilégiés que d’autres. Donc il serait temps de s’intéresser à la vraie question de notre fin de carrière, en dehors du financement que je ne maîtrise pas, et qui, de toute façon, trouvera une solution dans l’esquisse que je veux vous présenter.

De l’épanouissement dans le travail

Notre société accorde une importance capitale à la situation professionnelle, et de nombreuses personnes font de leur carrière leur principal objectif de vie. Sans aller jusque-là, nous pouvons convenir que l’épanouissement dans le travail est un facteur de bien-être personnel, et que les relations sociales que nous entretenons sont très nettement tournées vers nos relations professionnelles. Ainsi, la retraite est souvent vécue comme une mise à l’écart et une perte d’utilité, voire un isolement important et néfaste à l’équilibre de la personne nouvellement retraitée.

Pourtant, nous continuons de « mettre à la retraite » des gens qui poursuivraient bien un peu, mais pas au même rythme. Forts de leurs expériences et de leur savoir-faire, ils pourraient aider, former, diriger… bref continuer de se sentir utiles sans s’épuiser et mettre leur santé en danger. Car arriver à la retraite pour ne pas en profiter un peu n’est pas non plus l’objectif visé.

Mon questionnement personnel n’est pas tant de savoir à quel âge je vais pouvoir partir à la retraite que d’envisager dans quelles conditions je vais y arriver. Ainsi, partir à 62 ans, comme c’est le cas maintenant, ou à 64, voire 65 ans comme cela est prévisible, n'est pas le sujet majeur, excepté bien évidemment en termes d’équilibre des comptes. Donc partons plus tard, mais partons mieux. Car au même poste qu’aujourd’hui à 65 ans dans les mêmes conditions, cela ne serait pas souhaitable, ni pour moi, ni pour les autres : enseignants, parents et même élèves. Cette question est sûrement valable dans plein de secteurs et pour de nombreux postes.

De la pénibilité et de la méconnaissance du travail des autres

Chaque travail présente ses sources de pénibilité, et je ne souhaite pas juger du caractère « facile » ou « pénible » des autres professions que la mienne. En revanche, je sais que je ne serai plus aussi efficace dans mon travail après un certain âge. J’ai 51 ans, et déjà, je me dis que d’ici quelques années je ne pourrai pas envisager mon poste de la même façon qu’aujourd’hui. Alors que de l’extérieur, beaucoup semblent l’imaginer comme « non pénible », le métier de directeur d’école est très stressant. Je cours toute la journée, faisant plusieurs choses simultanément, répondant à de multiples sollicitations sans quasiment aucun répit du matin au soir. Je suis sûr que le même constat est vrai pour de nombreux métiers. Donc, n’opposons pas les différents secteurs, mais convenons plutôt que cela dépend de chacun de nous.

La plupart du temps, nous prenons les exemples du couvreur et de l’employé de bureau pour comparer la pénibilité au travail. Cependant cela varie dans ces deux métiers en fonction des conditions particulières dans l’entreprise concernée et de la situation physique des salariés. Il est évident que la santé est un paramètre important que nous ne maîtrisons que très partiellement. Donc ne présumons pas des conditions professionnelles de nos voisins que nous connaissons très mal. Cela n’amène que du conflit et des reproches de part et d’autre, qui empêchent le dialogue et rendent caduque tout consensus. La seule approche globale est de dire que la pénibilité est celle que les gens ressentent et vivent au quotidien dans leurs tâches professionnelles en fonction de leur état de santé du moment. Nous avons tous des exemples de personnes proches (ou soi-même), atteintes de maladies de longue durée qui ont traversé une période compliquée, rendant ainsi l’activité professionnelle nettement plus pénible qu’à l’ordinaire.

De la fin des régimes spéciaux et du choix en fin de carrière

Aussi, tentons de prévoir une retraite basée sur les mêmes principes pour tous, mais en laissant une bonne part de choix à chacun. La fin des régimes spéciaux est nécessaire pour cesser d’opposer les Français entre eux, en cherchant les mieux lotis, et en les mettant en situation de profiteurs en rapport avec les autres qui seraient inévitablement davantage exploités par la société. Donc le même régime pour tous, mais avec des possibilités proposées à chacun pour aménager les dernières années. Par exemple, laisser le choix au futur retraité d’abaisser sensiblement son temps de travail pour conserver une efficacité et un bien-être important sans « piocher » dans son capital santé. Évidemment le salaire serait fonction de la durée, mais au moins les gens auraient le choix, que l’on peut envisager vers 58-60 ans.

Pareillement, nous pouvons imaginer des propositions d’évolutions professionnelles à partir d’un certain âge, vers 55-60 ans en fonction des branches et des métiers, où des postes seraient fléchés et réservés pour les salariés concernés. Bien sûr, les cotisations et les retraites seraient calculées en fonction de tous ces choix. Mais au moins, le salarié serait acteur de son propre départ à la retraite et ne le vivrait ni comme une exclusion de la société ni comme une perspective lointaine, car il est diminué physiquement et attend difficilement d’avoir l’âge requis pour cela.

Personnellement je sais que les conditions d’exercice sont très diverses selon les régions et les différents secteurs géographiques où se situent les écoles, mais il est évident qu’en fin de carrière les directeurs seraient plus performants en supervisant les nouveaux, en faisant de la formation, ou en se mettant à deux mi-temps pour un seul poste, ce qui est impossible aujourd’hui.

Du respect de l’engagement de l’État et de la parole publique

Il nous faut prévoir sereinement et ensemble des solutions pour chaque poste qui soient à la fois convenables pour les employés et financièrement tenables pour les comptes des retraites. De toute façon, avec un calcul identique pour tous, prenons un départ à partir de 64 ans et les 20 meilleures années par exemple, si les dernières n’en font pas partie, cela sera le choix de chacun de nous. Bien sûr ce système un peu idéalisé ne sera pas possible dans chaque emploi, pour tous les salariés ou autres postes, en fonction des branches d’activités et des conditions financières de chacun. Mais il est vraiment souhaitable de placer les gens au cœur des décisions qui les concernent afin de redonner du sens au mot responsabilité. Chacun, d’une façon ou d’une autre qu’il nous reste à inventer, serait invité à choisir entre différentes options pour ses dernières années professionnelles, et gagnerait en bien-être, ne serait-ce qu’en étant acteur, responsable d’une partie de son avenir.

La parole publique doit de nouveau être crédible. Il convient donc d’arrêter de changer sans cesse les règles pour ensuite revenir sur les modifications précédentes, et en fin de compte n’avoir pas suffisamment pris en considération la spécificité de chacun pour une solution correcte pour tous. La situation probable de ma fin de carrière et le contrat que j’ai signé en début de prise de fonction d’enseignant du premier degré ne sont pas du tout semblables. Il y a des changements positifs et d’autres, négatifs, je ne suis pas en train de critiquer cela, mais souhaite simplement exposer que les modifications successives rendent inaudible le discours de l’État. Le choix d’un métier peut aussi s’effectuer en raison des conditions de fin de carrière, qui si elles sont changeantes, remettent complètement en cause la décision initiale. Cela est très vrai pour les carrières longues et les possibilités de départ anticipé avec un nombre d’années de cotisation au complet.

Ainsi, après avoir acté les changements, ne prenons plus les Français pour des idiots ! Que les politiques nous laissent enfin le sens des responsabilités pour notre propre vie ! Nous choisirons en conscience et en toute connaissance de nos possibilités en termes de santé, de dépenses et de nos souhaits pour nos vieilles années. La souveraineté s’exerce d’abord dans la responsabilité individuelle du choix de sa vie, dans le respect du bien commun que le peuple aurait défini souverainement par un référendum composé de plusieurs questions sur les retraites.