L’égalité ? Oui mais pas au lit ! - Elle

Le couple paritaire au lit

Parité, idéaux égalitaires... quoi de moins érotique, une fois sous les draps ? Témoignages de celles qui ont compris que la différence des sexes, c’est sexy !

> Voir notre enquête sur l'égalité et le désir ?

Le couple paritaire au lit

Il y a longtemps, les petites souris qui passaient près des alcôves pouvaient entendre : « Moi, Tarzan, toi, Jane. Toi faire devoir conjugal. » Et Jane s’exécutait. Sans jouir, naturellement, ce qui ne préoccupait personne. Quelques révolutions plus tard (féminisme, contraception, Mai 68…), les choses ont profondément changé. Certes, à l’échelle de la société, de gros chantiers subsistent pour que le statut des femmes atteigne, dans les faits, celui des hommes, mais, au sein du couple, les idéaux égalitaires ont fait voler en éclats les anciens schémas. Youpi ? Evidemment ! On ne va pas faire la fine bouche devant plus d’amour, d’intimité, de dialogue, de partage des tâches. Mais, au lit, il donne quoi, ce super couple paritaire ?

Euh… pas grand-chose, répondent en choeur témoins et spécialistes. Pour Violaine, 38 ans, parler d’égalité au lit, « c’est tout sauf sexy et aussi absurde que de se demander si le sexe est compatible avec la propreté ». Christelle, 30 ans, résume les choses en images : « C’est comme si mon clitoris avait la taille de son pénis, avouez que ce serait gênant, surtout en lingerie Chantal Thomass ! » Plus sérieusement, Esther Perel, une psychologue belge exerçant à New York, nous livre dans un ouvrage lucide * un constat réfrigérant : de nombreux couples entretiennent de plus en plus des relations politiquement correctes, empreintes d’un profond respect mutuel, ils cultivent une communication affectueuse, se disent tout et s’entendent à merveille pour gérer le quotidien. En un mot, ils sont les meilleurs amis du monde. Le hic, c’est que ces cellules « amicoconjugales » sont souvent désérotisées.

Désir sexuel et égalité

Pourquoi ? « Parce que le désir sexuel n’est pas compatible avec le désir d’égalité.

Il a au contraire besoin d’altérité, on ne fait pas l’amour avec son double, affirme Esther Perel. La parité, c’est formidable, mais trop de consensus tue la passion. Je dis donc haut et fort que les idéaux égalitaires ne doivent pas franchir le seuil de la chambre à coucher ! » Le Dr Mireille Dubois-Chevalier, sexologue à Paris, va encore plus loin : « La notion d’égalité appartient à la vie publique, elle n’a aucun sens dans la vie privée. Si, au niveau social, on doit continuer à se battre pour que les femmes aient le même poids que les hommes, il faut absolument militer pour la différence dans la sphère intime, sinon, on court à la catastrophe ! »

Un exemple ? « Un patient de 30 ans m’a avoué qu’il n’avait pas touché sa femme depuis quatre ans, raconte Esther Perel. Il l’aime, mais, dit-il, elle est trop “comme lui”, elle se met partout à sa place et ne lui laisse même pas demander la table au restaurant. En fait, il ne voit plus ce qui le maintient dans son rôle masculin. » Pour Mireille Dubois-Chevalier, cette situation navrante résulte d’une confusion trop répandue entre le social, où la distribution des rôles doit être asexuée pour assurer les droits de chacun( e) – je fais le même travail qu’un homme, je gagne donc, idéalement, le même salaire –, et l’intime, où les rôles doivent être sexués.

« La notion d’égalité induit une idée de “donnant-donnant”, déplore la sexologue. Or, quand on aime, on ne compte pas ! » Vous les imaginez, les petits calculs entre amants ? Une fellation pour toi = un cunnilingus pour moi, cinq minutes sur toi contre cinq minutes en levrette… Au secours ! Les choses doivent se faire spontanément, comme cela se produit la plupart du temps : Jane fait le marché, Tarzan fait réparer la voiture, Jane a peur au cinéma, Tarzan la prend dans ses bras, et zou, c’est la fête sous la couette ! « La sexualité d’un couple n’est rien d’autre que la matérialisation concrète de la relation amoureuse. Si les partenaires sont en compétition sur tout, leur sexualité risque de se jouer sur le mode du combat. S’ils sont dans l’égalité et la fraternité, ils courent tout droit vers une sexualité de nounours, tendre, mais pas du tout érotique », poursuit le Dr Dubois-Chevalier.

Egoïsme du désir

L’égalité ? Oui mais pas au lit ! - Elle

Marie, 47 ans, éditrice et féministe convaincue, a compris tout cela depuis longtemps :

« Pour que ça fonctionne au lit, je crois que les femmes doivent montrer une certaine part de soumission, feinte au besoin, dans la vie de tous les jours. L’idée, c’est de ne pas leur couper les couilles. Ça vaut vraiment le coup, parce que le désir est fugace et, sous leurs airs de gros durs, les hommes sont fragiles… » Et beaucoup se sentent coincés entre la considération qu’ils éprouvent pour leur partenaire, et la force impérieuse de leur désir sexuel.

« Mes potes et moi, raconte Nicolas, 31 ans, on trouve génial d’avoir des copines avec qui on partage tout, mais franchement le côté “respect à tout prix”, ça donne des relations sexuelles un peu trop policées. Je vis avec Sophie depuis quatre ans, je suis très amoureux d’elle, mais j’ai du mal à lui dire que, de temps en temps, je me passerais bien de ces préliminaires interminables. Que je voudrais juste la retourner sur le canapé ou la prendre sauvagement dans l’escalier. J’ai tellement pris l’habitude de privilégier son plaisir à elle que je n’ose plus revendiquer le mien. En fait, j’ai peur d’exprimer mon côté mâle un peu brut, violent, pénétrant. »

Bingo, Nicolas, pile le doigt sur le problème ! « On oublie souvent que l’élément fondamental du désir, c’est l’égoïsme, souligne Esther Perel. Trop se préoccuper de l’autre inhibe le désir : on se met à sa place, au lieu de se retirer à l’intérieur de soi, dans son propre espace de jouissance. Par ailleurs, le désir n’est pas une proposition démocratique, il ne relève pas du domaine de l’équité, mais de celui de l’excitation, de la force, de l’agressivité. C’est encore plus vrai du désir masculin. Chercher à neutraliser cela, c’est éteindre le feu de l’érotisme ! »

L'envie de domination

« Un homme qui te fait sentir que son désir ne se discute pas, que c’est “ici et maintenant, et pas quand tu auras fini de vider le lave-vaisselle”, c’est irrésistible », confie Victoire, 36 ans.

Aurore, 29 ans, ne trouve rien de plus excitant que ce feu d’artifice de testostérone. « C’est trop bon de sentir que l’homme est une bête qui a envie de t’attraper n’importe où ! Le côté “rentre-dedans” au vrai sens du terme, puisque l’homme te possède, j’adore, dans la mesure où j’y trouve autant de plaisir que lui. » Pour Célia, 24 ans, « les bonnes manières sont incompatibles avec le sexe pur ! L’égalité n’a pas lieu d’être au lit. A mon avis, pour bien faire l’amour avec quelqu’un, il faut le “dé-respectiser”. Moi, j’accepte volontiers d’être dé-respectisée, de rendre ça possible pour que celui avec qui je couche se sente un homme, et pas juste un bon ami. » Avec gourmandise, Victoire renchérit : « Et puis il y a cette domination physique, le volume du mec sur toi, cette sensation d’être plus petite, plus fragile, vulnérable, c’est hmmmm ! »

Domination, le mot est lâché. Tabou depuis longtemps (il fallait bien effacer ces millénaires où la sexualité des femmes ne coïncidait pas avec leur désir), il ne l’est plus depuis que nous nous sommes détendues sur la question. Dans notre sondage **, il apparaît qu’au lit la domination est une chose partagée : 49 % d’entre vous préfèrent être dominées sexuellement par leur partenaire, et 51,4 % aimeraient l’être davantage. Quant aux positions et pratiques érotiques, ellessont indifféremment ressenties comme « je te domine/tu me domines ».

Ainsi, vous êtes 51,4 % à vous penser dominées dans la position du missionnaire, mais « seulement » 51 % à penser que vous dominez votre partenaire en le chevauchant. Le cunnilingus et la fellation vous donnent autant l’impression de mener le jeu que de le suivre (51 %/49 % et 50 %/50 %), de même que la sodomie (49 %/51 %). Finalement, seules les pratiques teintées de SM creusent un peu la différence : vous êtes ainsi 52,4 % à vous sentir dominées si votre amoureux vous attache, vous dit des mots très hard, ou vous donne la fessée (ce qui implique tout de même que 47,6 % estiment dominer dans ce contexte).

Que signifient ces chiffres ?

Probablement que, pour les femmes, la notion de domination sexuelle fait référence à autre chose qu’au fouet et à la combi en latex.

« Dans ma clientèle, ce sont souvent des femmes très dominatrices dans la vie qui n’hésitent pas à explorer cette zone interdite de l’inégalité, nous dit Esther Perel. Pour elles qui gèrent tout au quotidien, cela représente un espace où, enfin, quelqu’un d’autre décide pour elles, s’occupe d’elles. » Et elles adorent ! « Au boulot, et pour l’éducation des enfants, c’est moi qui porte la culotte, assène Ariane, 42 ans, chef d’entreprise. Mais, au lit, j’aime bien quand c’est lui qui décide, j’assume complètement d’être dominée, car dominer ne m’excite pas du tout. C’est sans doute pour cela que j’ai choisi un bon macho italien super viril, qui, en la matière, a bien plus d’imagination que moi ! »

Elisabeth, 45 ans, qui dirige le service de communication d’un grand groupe industriel, confie que, pour elle, « la domination ne se résume pas en actes. C’est un état d’esprit, un point de repère pour la féminité, une délicieuse sensation d’abandon ». Quant à Raphaëlle, 39 ans, avocate, elle pense carrément que le plaisir féminin vient de ce moment où l’on sent la domination (consentie) de l’homme prendre le dessus. « Dans la vie sociale, on doit avancer perchées sur nos talons aiguille pour être aussi grandes, aussi fortes, aussi bonnes qu’eux. Alors j’aime l’idée qu’au lit on n’ait rien à prouver, on se laisse faire. »

Un jeu sexuel

Mais les hommes sont prévenus, ce petit jeu, car c’est bien d’un jeu qu’il s’agit, ne marche qu’au lit !

Comme le dit Esther Perel, « dans la vie sexuelle, nous ne sommes plus de bons citoyens responsables, nous sommes les acteurs d’un petit théâtre peuplé de désirs et de fantasmes. Il est fondamental pour le couple de quitter la réalité pour se plonger dans son imaginaire érotique ». Et là, tout est possible. Entre adultes consentants, s’entend. Car si le jeu n’amuse qu’un des partenaires, alerte rouge ! « Mon premier mari était très dominateur, raconte Marie-Laure, 38 ans. Et que je te prenne par derrière, et que je te mette une fessée, etc. Ces pratiques ne me gênent pas, mais je me sentais humiliée par leur caractère systématique. Avec mon nouvel amoureux, on a une sexualité très tendre, très paritaire. Du coup, parfois, c’est moi qui lui demande de me dominer un peu plus… »

Problème de rapports de force ? « Il y en a forcément, précise Mireille Dubois-Chevalier, et ils se concrétisent au lit, comme si le sexe était le vecteur des règles à l’œuvre dans le couple. Cela ne pose pas de problème si les partenaires reconnaissent la différence des rôles et s’en amusent. » Ce qui n’implique pas que l’homme soit toujours celui qui domine ! « Une bonne fessée quand mon chéri n’a pas bien passé l’aspirateur, ça peut avoir son charme », ironise Christelle. Le pouvoir dans son couple ? « Il va, il vient. J’ai la liberté, et il l’a aussi, de tout suggérer. Les choses se font dans le feu de l’action. On ne se prend pas la tête sur qui commande ! On dit : “Passe-moi les menottes”, et basta ! »

Catherine Roig

* « L’Intelligence érotique. Faire vivre le désir dans le couple »

(éd. Robert Laffont).

** > Questionnaire réalisé sur ELLE.fr du 7 au 13 septembre 2007.